La trilogie suite....
le 3eme volet des articles sur les dys ... la vision prof, ma grande soeur ...
Confrontation d’un jeune prof avec la dyslexie :
Edit de la sœur : Toutes mes excuses aux quatre personnes qui avaient déjà posté un commentaire (dont Aleth et Miam-Miam). Pour corriger les innombrables fautes de ce texte non relu a temps, j’ai du effacer le message original et en recréer un autre (c’est comme cela que canalblog fonctionne). Du même coup, tous les commentaires ont été effacés. Vous serait-il possible de les réécrire si vous repassez par là ? Toutes mes excuses à ma sœur également.
Je l’ai toujours connue dyslexique. Je me souviens du combat quotidien de ma mère pour lui faire faire ses devoirs, pour lui apprendre à lire, pour lui arracher chaque mot de vocabulaire, les séances d’orthophonie, les dictées à 50 fautes(sic), les crises de nerfs, les « pourquoi moi je dois travailler 4 fois plus que tous les autres de ma classe et je suis à peine à la moyenne», l’extraordinaire patience, pédagogie et diplomatie déployée par ma mère pour qu’il reste quelques brides de cette leçon d’histoire le lendemain matin et pour qu’elle comprenne bien que ses difficultés scolaires ne faisaient pas d’elle une « sous-personne ».
Je les trouvais vraiment courageuses, toutes les deux. Je ne pensais pas un instant ma sœur diminuée de quelque manière que ce soit, ou moins intelligente que les autres. Mais je voyais tout cela de loin. J’avais 5 ans de plus, j’avais toujours réussi en classe sans efforts, je ne comprenais pas vraiment la douleur du mauvais élève. Je passai le bac, quittai la maison pour commencer mes études supérieures, et le reste de ma famille demenagea à 1000 kms de là.
Quatre ans plus tard, les hasards de la vie ramènent la famille à quelques kilomètres du lieu ou je termine mes études. Ma sœur entre en première ES et ma mère s’essouffle. Elle est usée par ces années de combat, et sculpteur ayant réussi le bac parce que c’était la condition que mon grand père avait posé à son mariage, elle décroche dans certaines matières. Elle envisage de confier ma sœur à des professeurs particuliers.
Oui mais voilà. Entre-temps, presque par hasard, j’ai découvert que j’étais prof. L’intégration hasardeuse d’une ENS pour échapper aux écoles de commerce, un stage obligatoire en première année. J’entre, incertaine, dans une classe de BTS. 28 paires d’yeux me regardent, l’air mi-méfiant mi-amusé (j’ai 2 ans de plus qu’eux et je ne fais pas mon age). 3 heures plus tard, je sors….prof. C’est une évidence.
Cette année là, je me prépare donc à passer l’agrégation. Alors je décide de prendre le relais. Quel sens cela aurait-il de me préparer à une vie d’enseignement si je n’en fait pas profité mes plus proches ? Un prof extérieur est recruté pour le soutien en math, je m’occuperai de l’eco, de la philo, et de l’anglais. Je ne sais pas encore que cela va m’occuper trois soirs pas semaine et la moitié du week-end.
Dans cette tâche qui m’attend, je pars avec un gros handicap: je suis prof. C'est-à-dire, ex bon élève, incapable de comprendre que les gens ne comprennent pas. Mais j’ai aussi un gros atout. Depuis deux ans, j’ai enfin chaussé les vans du mauvais élève. J’ai intégré une ENS sans avoir jamais pris un cours de la matière dont je suis soi-disant spécialiste (parce qu’en France en étant bon en maths on peut faire n’importe quoi. N’importe quoi, comme se spécialiser dans une matière dans avoir jamais pris un seul cours de celle-ci). Le choc a été rude. A moi les 4 heures passées hagarde au fond de la classe à ne pas comprendre un mot du charabia que débite le prof. Deux ans en terre étrangère. Et puis l’agreg approchant, je me suis dit que si mon destin était de devenir prof, autant avoir compris quelque chose à la matière que j’allais enseigner. Alors je me suis isolée deux mois à la campagne, avec un livre de terminale, deux trois bouquins élémentaires, deux trois bouquins spécialisés. Je les ai lu deux, trois, parfois quatre fois chacun. Et en septembre, j’étais prête à tomber malade de cette grègue dont on m’avais battu et rebattu les oreilles.
Mais j’étais largement autodidacte. Je n’avais eu aucun complexe à rouvrir, dans une année qui était pour moi l’équivalent de la maîtrise, un bouquin de terminale bien fait pour apprendre les bases qu’on ne m’avait jamais enseigné. Je n’avais eu aucun complexe à repartir des concepts les plus élémentaires d’une science, de leur enchaînement logique le plus basique, pour ne raffiner et ne complexifier ma vision du système social dans lequel nous vivons que bien plus tard.
Et j’allais rapidement découvrir que, pour qu’un enfant dyslexique comprenne un cours, l’élémentaire, les concepts de base, la logique, l’enchaînement, doit être irréprochable, « crystalclear » comme disent les anglais.
Parce que l’enfant dyslexique possède sa propre logique. Je le découvre en la faisant travailler sur ses disserts de philo. Pour un élève normal, le processus thèse-antithèse-synthèse est parfaitement logique. Pour elle, la logique consistait à présenter d’abord la conclusion (dans l’introduction donc), puis à remonter les étapes du raisonnement. Dans d’autres matières, elle fonctionnait par associations d’idées. D’autre fois encore, j’étais incapable de comprendre comment elle procédait. Mais certainement par intuition. Elle parvenait directement à des conclusions et des « lois », dont j’avais mis des années à déchiffrer la signification. J’étais éblouie….éblouie et bien emmerdée. Parce que bien évidemment, le correcteur n’admettrait qu’une seule logique le jour du bac.
Alors je lui dis. Je lui dis que je suis éblouie par ses intuitions, afin qu’elle comprenne que sa logique n’est pas illogique mais autre, que je suis admirative de son intelligence, qu’elle possède une intelligence que d’autres feraient bien de lui envier. Mais je lui dis aussi qu’il va falloir tricher. Que je ne comprend pas comment elle fonctionne, que je ne peux pas vraiment rentrer dans sa logique, mais que je peux au moins essayer d’en déployer plusieurs (et par la suite je passerai des heures à trouver trois manières différentes d’expliquer la même idées), et surtout que je vais lui apprendre à réécrire ses idées dans la logique « standard », celle qui est demandé le jour de l’examen. Mais pour cela, il faut entièrement démonter le raisonnement, jusqu’aux concepts premiers.
Impossible de tricher avec des élèves dyslexiques. Il faut leur donner toutes, toutes les étapes du raisonnement, et avoir plusieurs chemins à disposition, ‘faire appel à leur monde’: utiliser l’enchaînement des concepts, mais également, puisqu’il s’agit de sciences sociales (philo et éco), l’histoire, les magasines, l’actualité, la vie quotidienne, et les erreurs passées des scientifiques (ça leur permet de voir que cette logique reconstituée n’est pas, contrairement à ce qui est enseigné, intuitive. Que ces théories ont été construites au fil des ans, par essais-erreurs, à la force du poignet. Dans la nuit de l’esprit. Dans le brouillard. Comme celui dans lequel il se trouve).
Et puis, il a les problèmes de mémoire. Ce qui rentre par l’oreille du dyslexique ressort instantanément par l’autre. Même quand on le fait rentrer 10 fois (et 10 fois pour un élève de 16 ans, c’est trrrrès pénible). Alors je fiche, je trouve des chemins, je presse, j’ordonne, je sélectionne la moelle, l’essence de ma matière et je lui donne à la petite cuillère au lieu d’utiliser la louche académique. Ca prendra le temps qu’il faut. Et quand je suis démunie, je demande à ma mère de lui faire apprendre. Dyslexique elle aussi, elle est spécialiste des associations d’idées. Je n’y arrive pas, c’est vraiment une logique étrangère à la mienne.
Et surtout, je la fais écrire. 10 fois l’introduction. 10 fois le même paragraphe. Pour lui montrer comment démonter son raisonnement et le remonter selon les canons en vigueur. Ou pour que sa propre logique soit aiguisée et claire jusqu'à devenir crédible aux yeux du correcteur. Je lui apprends qu’il vaut mieux ne pas terminer sa copie que de ne pas avoir le temps de se relire. Car se relire fait évidemment horreur aux élèves dyslexiques, dont les phrases n’ont parfois aucun sens à leurs yeux d’être une pâle imitation d’une logique qu’il ne comprennent pas, et qui sont en sus bourrées de fautes d’orthographe. Sauf que les fautes d’orthographe, en anglais, allemand, ou espagnol, deviennent des fautes bien plus coûteuses. Alors je lui fait faire des pages et des pages de rédaction en anglais. Et je l’oblige à se relire, avec en tête trois grosses fautes à corriger (genre le s à la troisième personne du singulier). Pour que ça devienne des automatismes. Elle se relit avec moi, et elle se relit jusqu’à ce que ces trois fautes là soient éliminées. Et on passe à la suite.
Ca se termine parfois en crise de nerf. Mais elle me fait confiance. Elle me voit réfléchir en même temps qu’elle, démonter les phrases en même temps qu’elle. Elle me voit prendre un chemin, puis en chercher un autre, puis en chercher encore un autre. Elle me voit aux prises avec la connaissance, et elle comprend que la science n’est infuse pour personne.
La Première, puis la Terminale.
La tête dans le labour, toujours. Au bac blanc, on dépasse les 11 de moyenne. Succès incroyable dans ce lycée parisien réputé de bon niveau. Elle demande un tiers temps pour le bac, qu’on lui refuse. Elle n’a pas un « vrai » handicap ( !!!!). Elle est au rattrapage….et rate le bac.
Elle le prend avec philosophie. Entre temps ma mère a œuvré pour lui permettre de « se trouver », pour l’aider à se dévoiler ce qu’elle aime, ce qu’elle voudra faire tous les jours de sa vie professionnelle. Elle s’oriente vers la déco, et trouve une école qui la prend sans le bac. Car pas question pour elle de le repasser si elle le rate. Elle intègre cette école, et dès lors, s’épanouie complètement. Son corps, son visage est plus ouvert, plus serein. Elle a trouvé sa voie, elle a cessé d’être « celle qui travaille quatre fois plus que les autres pour un résultat moyen ». Elle est libérée au sens propre du terme.
Pour moi, en revanche, c’est un camouflet terrible. Un échec personnel. Parce qu’entre-temps, j’ai eu l’agreg. Major. J’ai été payé pendant un an pour préparer ce concours, je n’ai donc pas d’autre mérite particulier que celui d’avoir travaillé dur….et d’avoir fait face à mon ignorance sans complexes. Et cela, c’est largement grâce à elle. Grâce à elle que j’ai consacré les deux premiers mois de la préparation à lire des livres de lycée au lieu de me plonger dans des raffinements infinis. Sans me sentir diminuée en une quelconque façon. Grâce à elle que les bases étaient si solide que j’ai pu construire si haut dessus. Grâce à elle que j’avais cette multitude de perspectives sur ma matière, notamment cette vision historique qui deviendra ma spécialité par la suite (en thèse). Et j’avais été incapable de lui rendre la pareille. A quoi cela servait-il de voir ses soi-disant aptitudes à l’enseignement sanctionné par une première place si cela ne me permettait même pas de la hisser jusqu’au bac (contrairement à certaines idées recues, l’agreg n’est pas un concours complètement idiot qui sanctionne des connaissances. Pas dans ma matière en tout cas. Le jury note, à l’oral, une réelle aptitude à transmettre du savoir. Les résultats sont proclamés publiquement, et si vous allez discuter avec le jury ensuite, ils vous sortent les fiches détaillées de vos oraux, se souviennent précisément de votre exposé, de vos faiblesses et atout, de votre clarté, de votre attitude générale, ect.). Jeune prof et déjà en échec.
Et puis j’ai étouffé mon amertume. J’ai enseigné à des « grands », ceux qui à leur tour préparaient l’agreg.. J’ai acquis la certitude d’être un prof honorable, parce que je n’ai oublié cette période où je ne savais rien de la discipline que j’enseigne. Il y a quelques années à peine, il a fallu commencé par le commencement. Et je n’ai pas honte de conseiller à mes agrégatifs d’aller ouvrir un bouquin de lycée, de passer quelques mois sur les bases, pas plus que je n’ai honte de leur dire que « non, je ne sais pas. Mais je sais ou chercher. On en reparle demain.»
Il y a quelques jours, j’ai lu cette phrase dans l’Elegance du Herisson (Muriel Barbery) :
«Ceux qui savent faire font, ceux qui ne savent pas enseignent, ceux qui ne savent pas enseigner enseignent aux enseignants et ceux qui ne savent pas enseigner aux enseignants font de la politique. »
J’ai souri. C’est vrai pour certains. Faut pour pleins d’autres, méritants, et excellent formateurs que j’ai rencontré ces dernières années. Ce n’est pas tout à fait vrai pour moi, je crois.
Et puis elle m’a demandé d’en parler. Du prof face à la dyslexie. Elle voulait faire une série sur son blog. Avec le témoignage d’une maman, la notre (il est ici), d’une orthophoniste, une amie (là), d’un prof, sa sœur, et d’elle-même (à venir). Alors en y repensant, je me suis aperçue qu’aujourd’hui elle aime écrire, et qu’elle écrit bien, comme en témoigne son blog. Et quelque part j’ai l’espoir que toutes ces heures passées à raturer n’aient pas été vaines……
Par ce que cette maladie touche des milliers (dizaines de milliers ? centaines de milliers ?) d’élèves en France.
Parce que l’éducation nationale ne fait rien contre ce fléau.
Parce que les dégâts vont bien au delà du carnet de note : tous ces enfants traînent leur mal être au fond des salles de classe, persuadés qu’ils sont des « nuls » ou des « débiles » ; pendant l’enfance et l’adolescence, les performances scolaires sont le principal, et souvent le seul, mode d’évaluation de ces enfants. S’ils sont « nuls » en classe, alors ils sont « nuls » tout court.
Parce que cette souffrance « casse » irrémédiablement ces enfants.
Parce que les profs, souvent anciens bon élèves, sont totalement démunis face à leurs difficultés.
Il faut en parler... !